Collaboration, la droite dit n’importe quoi

Ci-dessous un article de Bruno Hirout et un article de Quentin Douté à propos des bêtises réitérées de “notre camp” sur la collaboration.

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Bruno Hirout

15 noms, 10 mensonges !

De plus en plus souvent, et notamment – même si ce n’est pas exclusif – à cause de l’influence de plus en plus grandissante de Cnews, C8, Pascal Praud et Cyril Hanouna sur les réflexions des militants de droite, le sujet de la collaboration revient n’importe comment sur le tapis, avec notamment ce fameux poncif ridicule cher à la droite antiraciste : “les vrais collabos c’est la gauche et les vrais résistants c’est la droite”.

Ce genre de propos est parfois accompagné de visuels, et notamment de celui-ci sur lequel je suis tombé récemment et qui provoque l’écriture de ce billet.

Au-delà de l’aspect psychologique assez minable de vouloir absolument être – après coup ! – dans le camp des vainqueurs, je suis en totale opposition avec cette manie qu’a la droite de rejeter la collaboration et le régime de Vichy, car objectivement, depuis 1789, aucun régime ne fut aussi proche du programme idéal d’un parti de droite : interdiction de la franc-maçonnerie, remplacement du très mensonger “liberté-égalité-fraternité” par le très enraciné “travail-famille-patrie”, remplacement de la république corrompue par l’Etat français, remplacement des “droits de l’homme” par les principes de la communauté, etc.

Mas au-delà de ça, dans cette liste de 15 noms postée par les militants de droite, les descriptions sont absolument erronées voire – ce qui serait plus grave – volontairement mensongères. En effet, sur les 15, à peine un tiers était de gauche, et encore dans ces cinq-là est-il faux de dire que Jean Luchaire – qu’on peut positionner à gauche – ait appartenu à la “gauche démocratique” !

  • Yves Bouthillier : technicien n’ayant jamais appartenu à un parti, qualifié par plusieurs historiens de “réactionnaire marqué par une culture maurrassienne”.
  • Émile Mireaux : sénateur radical indépendant (c’est-à-dire les radicaux hostiles aux alliances avec la gauche, notamment avec le Front Populaire, et plus proche du centre droit)
  • Pierre Laval : a quitté la SFIO en 1922, a rompu avec la gauche en 1926, et dirige dans les années 1930 des gouvernements de centre droit.
  • Raphaël Alibert : royaliste proche de l’Action Française et de la Maison d’Orléans, probablement cagoulard, venant d’une vieille famille catholique et ayant dans sa jeunesse défendu manu militari les églises lors de la querelle des Inventaires (1906), et donc évidemment n’a jamais été communiste.
  • Paul Baudoin : inspecteur des finances apolitique, proche de Paul Reynaud (centre droit) et du comte Ciano (gendre de Mussolini), qui n’a jamais été communiste non plus
  • Jacques Doriot : a quitté le PCF en 1934 et n’a cessé de le combattre par la suite, le PPF se situant dès 1937 clairement à droite
  • Henry Lémery : sénateur mulâtre de la Martinique, a rapidement quitté le groupe radical-socialiste du sénat intitulé « Gauche Démocratique » et, dans les années 1930, il est proche de la droite nationale, rendant hommage à Charles Maurras lors de son emprisonnement et fondant en 1938 la « Société des amis de la Russie nationale » pour soutenir l’action des Russes blancs contre l’URSS
  • François Piétri : siégeait bien comme député chez les “républicains de gauche”, mais ce groupe était en réalité le groupe principal du centre droit, lié à l’Alliance Démocratique. Pour la faire courte sur le fait que les “républicains de gauche” n‘étaient pas de gauche, il faut savoir que dès 1913, face au pacifisme et à l’antimilitarisme de l’alliance des radicaux de des socialistes, ils se rapprochent de la droite, et ils y sont définitivement assimilés après 1914-1918 et l’apparition à l’extrême-gauche du parti communiste, ce qui place les socialistes à gauche et ces “républicains de gauche”… à droite de l’échiquier politique ! Encore faut-il connaître son histoire des idées politiques avant de balancer des noms à la volée…
  • Marc Augier : plus connu sous le nom de “Saint-Loup”, est passé dès avant la guerre de sympathisant socialiste à national-socialiste, après la lecture du livre d’Alphonse de Châteaubriant « La Gerbe des forces ».
  • René Belin : était bien membre de la CGT mais il y dirigeait l’aile la plus anti-communiste préconisant l’indépendance des syndicats par rapport aux partis politiques et un « syndicalisme constructif »

En résumé, sur les 15 noms avancés, 5 n’ont jamais été de gauche, 5 l’ont quittée bien avant la guerre, et seuls 5 étaient réellement de gauche en 1939… Voilà le niveau de crédibilité des antipétainistes de droite qui se croient malins, alors qu’ils relaient des stupidités qui n’ont rien à envier à la gauche qu’ils ne se privent pas de dénoncer.

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Quentin Douté

Collabos de gauche – résistants de droite : réponse à la droite bien-pensante

« 90% des gens qui vont à Londres en 40, ce sont des gens de l’Action française et 90% des collabos viennent de la gauche » : ainsi s’exprime Eric Zemmour dans un débat face à Bernard-Henri Lévy le 21 octobre 2019. Au sein de la droite « dure » et de « l’extrême droite » comme on dit, pour l’écrasante majorité, cette déclaration est le rappel d’une vérité politiquement incorrecte cachée par la gauche : la plupart des « collabos » venait de la gauche et une bonne partie des résistants venait de la droite. En disant cela, l’homme de droite croit sauver l’honneur de son camp en l’assimilant à la Résistance, forcément glorieuse, et être habile en assimilant la gauche à la Collaboration, forcément honteuse. Il citera volontiers une série d’exemples à l’appui et ne manquera pas de citer sa source : le livre de l’historien israélien Simon Epstein Un paradoxe français : Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance.

Pourtant, il suffit d’y regarder de plus près pour largement nuancer le propos. S’il existe une longue liste de collaborateurs venus de la gauche, on peut facilement faire aussi une longue liste de collaborateurs venant de la droite : Joseph Darnand, Philippe Henriot, Robert Brasillach, Marcel Bucard, Lucien Rebatet, etc., nous pourrions continuer longtemps. Mais, pour connaître la réalité, la meilleure méthode est d’avoir des statistiques précises. A notre connaissance, il n’existe pas de statistiques générales sur le sujet, nous devons donc nous contenter de données partielles : par exemple, dans les Pyrénées-Orientales (note 1), sur 117 collaborateurs (PPF (note2) et Milice) dont l’appartenance antérieure est connue, 107 viennent de la droite (principalement Croix-de-Feu/PSF (note 3) et Action française) et seulement 10 de la gauche (surtout socialo-communiste), de telles statistiques appuient largement la version classique de la gauche (collabos = extrême droite) ; néanmoins, si on regarde l’origine politique des membres du PPF (note 4), au congrès de 1936, 39% n’avaient jamais fait de politique, 33% venaient de la gauche (majoritairement d’anciens communistes) et 28% venaient de la droite (majoritairement d’anciens Croix-de-Feu) ; au congrès de 1942, 42% étaient des anciens du PPF d’avant-guerre, 21,6% venaient du parti communiste, 15,4% des Croix-de-Feu et du PSF, 8,2% de la

SFIO (note 5) et 5,8% de l’Action française, cette fois on voit une (légère) majorité pour la gauche. D’après les données partielles dont on dispose, une dualité se dégage : en zone sud, on a une majorité très nette pour la droite (nationalistes, royalistes, catholiques) non seulement dans la Milice, mais aussi au PPF ; tandis qu’en zone nord, la gauche semble être au minimum une forte minorité et peut-être une légère majorité.

Du côté de la Résistance, il est indéniable que le rôle des nationalistes est considérable en 1940 :  plusieurs fondateurs des premiers réseaux de résistance viennent de « l’extrême droite » (colonel Rémy, Loustaunau-Lacau, Paul Dungler, etc.). Néanmoins, ils doivent déjà cohabiter avec un certain nombre de résistants de gauche, antifascistes avant tout, luttant surtout contre le nazisme, Vichy et sa Révolution Nationale (qui correspond pourtant aux idées de ces nationalistes). Leur proportion va encore largement diminuer à partir de juin 1941 et de l’entrée massive en résistance des communistes sur ordre de Moscou. Par ailleurs, et c’est le plus important, ces nationalistes seront rapidement mis au pas par de Gaulle et devront servir, bon gré mal gré, sa politique antipétainiste, républicaine, démocrate et philosémite : Pierre Fourcaud, envoyé par Londres en zone sud, faisant état à son retour d’une série de contacts positifs à Vichy et plaidant pour les approfondir, est renvoyé par de Gaulle créer des comités animés par des socialistes contre Vichy et sa politique ; Pierre Tissier et Jean Escarra, qui essayent de faire adopter par la France Libre des positions antisémites, échoueront bien évidemment ; et ce ne sont là que des exemples (note 6). Certes, ils seront « renforcés » en quelque sorte par l’arrivée massive de vichysto-résistants en 1942, mais force est de constater que ces derniers seront encore plus rapidement neutralisés à Alger que les précédents à Londres, et c’est leur champion, le général Giraud, qui va s’en charger en liquidant dès mars 1943 toute la politique de la Révolution nationale encore appliquée en Afrique du Nord (note 7) non sans avoir renié Vichy et fait allégeance à la république et à la démocratie (note 8). Cette neutralisation totale est bien visible au Conseil National de la Résistance (CNR), où la droite est très minoritaire alors que les socialo-communistes dominent largement, où le PSF, plus grand parti français avant-guerre n’est même pas représenté, dont le programme est antipétainiste, républicain et économiquement très à gauche.

Autre fait intéressant à noter, une grande partie de ces résistants venus de la droite ne vont pas le rester longtemps et vont devenir après-guerre des cadres de la gauche, et non des moindres : ancien volontaire national (note 9), manifestant aux côtés de l’Action française et fréquentant de très près la Cagoule, employé par la Légion française des combattants et décoré de la Francisque par le Maréchal (étant parrainé par deux anciens cagoulards) tout en étant dès cette époque-là dans la Résistance, François Mitterrand sera le refondateur de la gauche et, par son rôle de président de la République et sa politique antinationale (immigration massive, avortement de masse, antiracisme, laxisme judiciaire, perte de la souveraineté, etc.), l’un des principaux fossoyeurs de la nation française ; journaliste catholique et conservateur, proche de l’Action française puis du Faisceau (note 10), après avoir servi Vichy à l’école des cadres d’Uriage (note 11) puis rejoint la Résistance (comme tous les cadres de cette école), Hubert Beuve-Méry fondera et dirigera 25 ans le quotidien Le Monde, qui « s’illustre » dès le départ par son refus de l’anticommunisme et continue jusqu’à nos jours de sévir comme journal « de référence » faussement objectif et réellement gauchiste ; passons rapidement sur François de Grossouvre, l’ancien de l’Action Française et du SOL (note 12) devenu fidèle conseiller de Mitterrand, Marie-Madeleine Méric, passée de la « Cagoule militaire » (note 13) à la LICRA, Emmanuel d’Astier de La Vigerie, noble maurrassien devenu aristocrate rouge, Daniel Cordier, jeune camelot du roi devenu vieux pédéraste gauchiste antiraciste, la liste est longue et désolante de ces résistants de droite dévoyés après avoir été dans la Résistance, et si certains (Michel de Camaret, Jean Vallette d’Osia, docteur Henri Martin, etc.) sauvent l’honneur par la fidélité à leurs idées, force est de constater que les premiers ont été trop nombreux et trop nocifs pour pouvoir être ignorés.

Passons maintenant à nos « collabos de gauche ». Première remarque : on compte comme étant de gauche des gens qui l’avaient quittée bien avant la guerre : le plus célèbre et le plus souvent cité, Pierre Laval, a rompu avec la gauche en 1926 et a gouverné par la suite avec la droite, il était l’une des bêtes noires du Front Populaire ; de même, à peine moins connu, Jacques Doriot fondait en 1936 un parti nationaliste (le PPF) et s’alliait l’année suivante avec la droite la plus classique au sein du Front de la Liberté contre le danger communiste ; on peut évidemment en dire de même pour tous les anciens de la gauche ayant rejoint le PPF dans les années 1930. Deuxième remarque : il serait bon là encore de voir ce qu’ils sont devenus après-guerre. Certains restent à gauche et, étant proscrits de leurs partis d’origine, forment le Parti Socialiste Démocratique, dirigé par l’ancien secrétaire général de la SFIO Paul Faure, parti de centre-gauche s’alliant fréquemment avec la droite ; parmi eux, relevons pour l’anecdote Charles Spinasse, ancien député socialiste de la Corrèze et mentor dans les années soixante du jeune Jacques Chirac, ou l’ancien militant anarchiste puis socialiste Robert Jospin, père de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin. Mais d’autres, nombreux, passeront définitivement à droite : Georges Albertini, socialiste antifasciste avant-guerre, second de Marcel Déat au RNP (note 14), se spécialise après-guerre dans la lutte anticommuniste et devient une éminence grise de Georges Pompidou puis de Jacques Chirac, facilitant aussi le passage d’anciens militants nationalistes vers la droite parlementaire (Madelin, Devedjian, Longuet, Novelli) ; à l’autre bout de la droite, l’ancien trotskiste René Binet, sous-officier de la Waffen-SS, fonde en 1951 le

Nouvel Ordre Européen, mouvement nationaliste européen néonazi ; par ailleurs, l’ancien communiste puis PPF Victor Barthélémy, l’ancien socialiste indépendant puis RNP et milicien François Brigneau, l’ancien CGT puis PPF et combattant de la LVF (note 15) André Dufraisse, l’ancien trotskiste puis RNP Roland Gaucher seront parmi les fondateurs du Front National ; enfin, ajoutons l’ancien communiste Henri Barbé, membre du PPF puis du RNP, converti au catholicisme, il collabore par la suite avec la revue traditionaliste Itinéraires dirigée par Jean Madiran. Terminons par un détail de vocabulaire qui en dit beaucoup : durant la guerre, les mouvements collaborationnistes s’appelaient entre eux les mouvements « nationaux », leurs partisans étaient des « nationaux » ; curieusement pour notre droite bien-pensante, cette appellation était la même pour désigner les mouvements de droite et les hommes de droite dans l’entre-deux-guerres, le terme « droite » n’ayant jamais fait l’unanimité en son sein.

En conclusion, pour répondre d’avance au reproche que l’on ne manquera pas de nous faire de tirer contre notre propre camp : oui, effectivement, il faut tirer contre son camp quand celui-ci se soumet aux injonctions idéologiques de ses adversaires. En voulant à tout prix mettre la droite dans le camp de la Résistance, il accrédite la version manichéenne de cette histoire imposée par les vainqueurs de 1945 et rentre dans ce que Maurice Bardèche (note 16) appelait fort justement le « monde clos du mensonge ».

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Notes

  • 1 : Les adhérents aux mouvements de collaboration dans les Pyrénées-Orientales (1940-1944), par Jean Larrieu.
  • 2 : Parti Populaire Français, dirigé par Jacques Doriot.
  • 3 : Parti Social Français, faisant suite à la ligue des Croix-de-Feu, dirigé par le colonel de La Rocque.
  • 4 : Chiffres officiels du PPF, repris par plusieurs historiens (D. Wolf, J.-P. Brunet, R. Soucy, etc.).
  • 5 : Section Française de l’Internationale Ouvrière, l’ancêtre du Parti Socialiste.
  • 6 : Le premier est notamment relaté par le colonel Passy dans ses mémoires, le second par Simon Epstein dans son livre déjà cité.
  • 7 : Notamment avec la série d’ordonnances parues au Journal Officiel du 18 mars 1943.
  • 8 : Discours du 14 mars 1943.
  • 9 : Les Volontaires Nationaux étaient l’organisation d’élargissement du mouvement Croix-de-Feu, réservé à l’origine aux anciens combattants décorés au combat.
  • 10 : Premier parti fasciste français (1925-1928).
  • 11 : École ayant pour but de former les nouvelles élites françaises dans l’esprit de la Révolution Nationale.
  • 12 : Service d’Ordre Légionnaire, dirigé par Joseph Darnand, prédécesseur immédiat de la Milice française.
  • 13 : Les Réseaux Corvignolles, du commandant Loustaunau-Lacau, officier nationaliste et antisémite, devaient lutter contre les infiltrations communistes dans l’armée.
  • 14 : Rassemblement National Populaire, dirigé par Marcel Déat, parti collaborationniste dont les membres viennentmajoritairement de la gauche.
  • 15 : Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme, luttant sur le Front de l’Est aux côtés de l’armée allemande.
  • 16 : Lettre à François Mauriac.