La poésie n’est pas morte
A la découverte de La chorale des cadavres.
Il s’appelle Romain Guérin. J’avais été conquis par son Journal d’Anne France qui, au-delà du fait qu’il était très agréable à lire, portait en son titre une irrévérence à laquelle j’étais loin d’être indifférent. Ce jeune homme maîtrise visiblement l’art de faire une bonne première impression, car cette fois c’est le titre et la couverture qui sont venus châtouiller mes capteurs d’insolence politique. Non pas que la couverture du Journal d’Anne France m’ait laissé indifférent, elle est à la fois belle, sobre et envoûtante à qui sait la regarder comme s’il était lui-même jugé par les yeux de sa nation, qui semble lui dire à la fois « protège-moi » et « je mérite que tu sois à la hauteur », mais cette impression ne peut venir qu’après la lecture du roman caché derrière cette couverture. En ce qui concerne La chorale des cadavres, la couverture fait office de pamphlet, pas moins. Je laisse le lecteur analyser dans le détail ces dessins d’Alban Guillemois, j’ai bien écrit « ces », car la quatrième de couverture sert également de support à une œuvre dessinée. Tout ce qui peut révolter un cœur droit y est dénoncé. On trouve par exemple à la baguette, en chef d’orchestre, faisant jouer la partition des droits de l’homme, Georges Soros entouré d’un pape qui lui astique le soulier et d’un enfant visiblement sacrifié lors d’un avortement. Je n’en dis pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui n’ont pas encore tenu ce recueil entre leurs mains.
Je le disais un peu plus haut, il n’y a pas que la couverture qui a attiré mon attention, mais aussi le titre. La chorale des cadavres, peut-être est-ce involontaire de la part de l’auteur, m’a renvoyé au souvenir de L’école des cadavres, un pamphlet visionnaire (mais trop antichrétien) du grand Céline, un côté visionnaire que Romain Guérin semble posséder également et sait mettre en poésie, comme dans Déluge en sommeil, un excellent poème politique parmi tous les excellents poèmes qui composent son ouvrage : Et bien sûr vos bourreaux / Passeront pour vos maîtres / Et la foire aux héros ! / Sera la foire aux traîtres !
Lorsqu’on ouvre La chorale des cadavres, la première page nous indique qu’il s’agit de « Poésie d’arrière-garde », ce qu’on peut voir comme une réponse lourde de sens à Manuel Valls et à ses juifs qui « sont à l’avant-garde de la République».
Autre petit cadeau de l’auteur avant que débute le recueil, une citation du désespéré de Léon Bloy, un ouvrage qui a marqué de nombreux amateurs de littérature française libre, un ouvrage qui comporte d’excellents passages dont une définition du type d’écrivain que Bloy exècre et qui correspond au type d’écrivain que n’est pas non plus Romain Guérin : Vous êtes, sans aucune recherche, ce que je ne pourrais être, un écrivain aimable et fin, et vous ne révolterez jamais personne. Romain Guérin, par son style et son contenu, me semble plus proche d’un Bloy que d’un Céline, j’imagine en effet assez facilement l’auteur de La chorale des cadavres épouser cette complainte sans problème : Que diable voulez-vous que puisse rêver, aujourd’hui, un adolescent que les disciplines modernes exaspèrent et que l’abjection commerciale fait vomir ? Les croisades ne sont plus, ni les nobles aventures lointaines d’aucune sorte. Le globe entier est devenu raisonnable.
L’ouvrage de Romain Guérin s’ouvre avec Au lecteur qui révèle au passage l’une des malédictions de beaucoup d’écrivains : Il est des jours radieux qui dégoûtent d’écrire / Et d’autres, orageux, aux lueurs qui m’inspirent.
Le lecteur passera, au fil des presque quatre-vingt pages que compte La chorale des cadavres, un agréable moment littéraire et le plaisir devenu rare d’envoyer à son cerveau des vers, des strophes et des rimes, cerveau trop souvent habitué à la froideur ou à la médiocrité journalistiques, cerveau qui accueille cette avalanche de poèmes comme une cure, vous vous sentez bien, après avoir lu du Romain Guérin.
Ce recueil de poésie montre une fois de plus l’attachement de l’auteur à son pays mais pas seulement, dans le très touchant Marie-Christine, Romain Guérin décrit avec brio la reconnaissance inexprimable des hommes pudiques envers leur mère, puis se livre quelques pages plus tard à une envolée radicale : La bonne question n’est pas : / Est-ce que le sang doit couler ? / Il coule bien trop déjà… / Mais bien : quel sang doit couler ?
Cet ouvrage, sorti l’an passé, procurez-le vous si ce n’est déjà fait. Le camp national compte quelques écrivains et peu de poètes, l’achat est toujours une belle occasion de reconnaître le travail de l’un des nôtres.
Je gâcherais votre plaisir si je multipliais trop les citations, je termine donc ici ce conseil de lecture, en utilisant la conclusion du poème Le patriote nouveau est arrivé ! :
Nous sommes des guépards ! Des lions ressuscités ! / De vieux fauves venus de siècles oubliés ! / Les torrents de crachats ont glissé sur nos peaux ! / France ! Pour te sauver, nous irons sans repos !