Pigeonnage volontaire
Cela faisait plusieurs jours maintenant que je passais devant cet ouvrage, attirant par ses couleurs inhabituelles : couverture argentée et tranche des pages rouge.
Puis, un nouveau jour, j’en ai eu marre d’être attiré par la beauté de l’objet, de relire sans cesse la quatrième de couverture en espérant que cette fois-ci elle m’attire comme par miracle. Alors j’ai dit ok. Ok, je veux bien me faire pigeonner et acheter cet ouvrage uniquement parce qu’il est beau : The Fisherman, de John Langan, l’histoire d’un homme qui perd sa femme et noie son chagrin dans la pêche.
J’ai tout d’abord et très vite regretté mon choix, le premier paragraphe m’ayant donné l’impression de tomber sur de l’ultraboomerisme gauchiste de bas étage version Stephen King.
Jugez plutôt les premières lignes du roman :
« Ne m’appelez pas Abraham : appelez-moi Abe. Bien que ce soit le nom que m’a donné ma mère je ne l’ai jamais aimé. Abraham est si vaniteux, si biblique, si… Je crois que le mot que je cherche, c’est « patriarcal ». S’il y a une chose que je ne suis pas, que je ne veux pas être, c’est un patriarche. A une époque, j’ai cru que j’aimerais avoir au moins un enfant, mais ces jours-ci la vue des petits me donne des sueurs froides. »
Voilà une manière bien catastrophique d’entrer dans un roman quand on est de droite, même quand on fait régulièrement « l’effort » de lire des auteurs qui ne sont pas « de chez nous » (sinon ça se limiterait à trois romans par an, soyons honnêtes, notre famille politique produit surtout des essayistes).
Malgré ce début rédhibitoire, puisque j’avais lâché la somme mirobolante de douze euros, je me suis forcé à poursuivre, et j’ai bien fait !
Ce livre est pour les lecteurs patients. Il faut fréquenter le personnage pendant une petite centaine de pages avant de passer de notre monde à… autre chose. Alors la lecture de l’ouvrage devient prenante, on est embarqué dans une ambiance qui rappelle les romans gothiques de la fin du dix-huitième et du dix-neuvième siècles, sombre, étrange et étonnante. De plus, comme l’a dit un jour le formidable critique littéraire Laurent Ruquier à propos d’une autre œuvre, « c’est une très belle histoire très bien racontée ». Les puristes diront certainement que c’est plus de l’horreur cosmique que du gothique, et ils auront peut-être raison, je ne suis pas un spécialiste, la preuve en est qu’avant cet ouvrage le dernier roman que j’ai lu est un Foenkinos…
Enfin bref, revenons à John Langan et au Fisherman, l’histoire et le récit se sont finalement hissés à la hauteur de la beauté de l’objet argenté à tranches rouges, et finalement la seule vraie déception c’est quand on tombe sur le cruel mot « fin ».
